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bertrand chedotal

post-capitalisme - idées et propositions

l'illusion de l'économisme

Sortir de l’illusion de l’«économisme»…

 

Nous restons formatés par la croyance que la richesse est dominée par tout ce qui se transforme en prix, c'est-à-dire en marchandise-argent. La dynamique du capitalisme pousse à son comble une telle assimilation. Elle constitue bien une machine aveugle par laquelle les rapports socio-humains sont soumis à la dictature de la reproduction des rapports marchands. La question centrale de l’«économie» demeure celle de la « valeur » pourvu qu’elle soit mesurable en une certaine quantité de monnaie, pourvu qu’elle génère de la rente et de la capitalisation. Peu importe que cette "valeur" engendre des destructions naturelles et humaines. Ces destructions échappant à la contrainte des comptes marchands.

 

Le niveau des destructions et des menaces engendrées est tel qu’il ne devient plus possible de le passer sous silence. La facture écologique du capitalisme ne peut plus être ignorée. Il est temps de remettre les choses à l’endroit. La seule et l’unique richesse est inestimable, dans son principe même. La richesse de l’émergence de la vie qui a conduit, dans toute sa diversité, à une évolution vers une forme sophistiquée, celle de l’«Homo Sapiens». Du fait de ses facultés spécifiques, associées à l’irruption de la conscience et du désir, le développement de l’hominal s’est réalisé par domination sur les autres mondes, du minéral à l’animal en passant par le végétal. Ce développement s’est amplifié dans un laps de temps très court, il y a 11000 ans, avec le passage du nomadisme vers la domestication-sédentarisation. Depuis deux siècles, avec le couplage du capitalisme sur la première révolution industrielle, le processus domination/destruction s’est accéléré. Depuis les dernières décades, on peut parler d’une hyper-accélération conduisant à une anthropocène qui menace, à brève échéance, les écosystèmes de l'environnement humain. Nous retrouvons ici l’intuition de l’anthropologue Leroi-Gourhan: «Ce que nous avons à inventer, c’est la sortie du néolithique». Et cette sortie correspond concrètement à celle du capitalisme fondé sur l’illusion de l’"économisme".

 

L’illusion, encore une fois, consiste à ramener toute richesse à la valeur, et toute valeur à ce qui apparaît mesurable immédiatement en marchandise-argent pour la captation de profits ou de rentes. Tout ce qui est pourtant à la base de la reproduction de la vie sociale est délibérément ignoré : l’amour, la santé, la solidarité, la complémentarité, les activités domestiques. Au sens capitaliste du terme, la valeur ne prend pas en compte ce qu'on appelle les externalités négatives, c'est à dire l'impact des destructions naturelles mettant en péril les écosystèmes écologiques. La valeur-marchandise se heurte maintenant au poids de l'inestimable. Au sein même du capitalisme, le fondement de la valeur mesuré par la quantité de travail nécessaire pour une activité donnée devient de plus en plus obsolète. L'importance de la robotisation et de l'information reproductible stockée dans les logiciels entraîne un découplage massif entre les quantités produites et les quantités de travail nécessaire.

 

Le travail, comme expression de l’épanouissement social, est devenu marchandise, le salariat comme forme moderne du « gagner son pain à la sueur de son front » à travers une subordination implacable. Il a pris le nom sinistre d’ « emploi ». S’employer à la quête d’un contrat de subordination, comme condition de la survie dans la loi de la jungle, comme besoin de reconnaissance sociale dont les modalités et les finalités nous échappent. Et c’est ainsi que la croissance à tout prix se justifie par la bonne volonté de « donner » un emploi au plus grand nombre, ne cessant d’élargir la sphère marchande des activités. Alimentant le couple productivisme-consumérisme. La notion même d’ « emploi » est à éradiquer, dans la sémantique elle-même. Il n’y a en réalité que des ressources, la ressource humaine dans ses rapports entre elle-même et les ressources naturelles. Des ressources qui pour être pleinement harmonisées doivent échapper à la contrainte avilissante et destructrice de la marchandisation salariale. Et nous montrerons pourquoi et comment, cela est possible aujourd’hui.

 

Rien non plus ne semble échapper à la notion de coût. Tout n’apparaît pouvoir être saisi qu’au prisme d’une évidence pourtant fantasmatique : cela serait désirable, mais impossible à satisfaire, car coûtant trop cher. Et, c’est l’engrenage infernal de la recherche de la réduction des coûts, l’engrenage de la course effrénée au moins disant social. Une telle course est bien le produit systémique du capitalisme : Chaque firme est placée dans le contexte d’une hyper-concurrence que le néo-libéralisme a promu sans entraves à une échelle mondialisée, s’appuyant sur les différentiels de situations sociales et fiscales. C’est une dynamique compulsive qui s’impose à la volonté des acteurs, qui pousse à la productivité extrême, qui accélère le phénomène d’opérations de méga-fusion-absorption des firmes multinationales entre elles. Ce dernier phénomène ne fait que reporter la contrainte de la concurrence à une échelle plus vaste, avec une acuité plus grande. C’est une course en avant vers la guerre économique qui rogne à la fois les coûts, les prix et les marges. Une fuite qui accroît les déséquilibres sociaux ainsi que les tensions entre les États se mobilisant pour la défense des intérêts de leurs propres firmes nationales.

 

La notion de coût, comme critère dominant les décisions économiques et politiques, doit lui-même être interrogée et remise en question. Le coût n’est que relatif à une valorisation marchande, dans des conditions sociales spécifiques, des ressources humaines et naturelles mobilisées pour une production donnée. Il ne prend pas en considération les externalités négatives (écologiques et sociales) engendrées par les conditions et l’utilité de cette production. Il est associé à son différentiel vis-à-vis du prix de vente, lequel, gouverné par la loi du marché, apparaît largement détaché du critère d’utilité sociale. Des produits utiles et propres sont ainsi vendus en dessous de leur « coût » de revient, tels les denrées agricoles bio. D’autres, tout à fait parasitaires voire dangereux, se réalise sur le marché avec captation de rentes substantielles, tels les armements. Le coût est soumis à la volatilité des marchés, au rétrécissement de l’horizon des carnets de commandes associé notamment à l’obsolescence artificielle et programmée des produits. Cette question du coût n’échappe se relie à la mesure de la valeur économique. Cette mesure se détache de plus en plus de la valorisation de la quantité de travail directement rattachable à une production donnée. La pyramide de l’empilement des coûts s’est renversée. La part du travail direct est devenue secondaire par rapport à celle du travail indirect indépendant des quantités produites. Il s’y ajoute aujourd’hui la part du travail stocké dans les logiciels, qui est à la fois une ressource inépuisable en fonction de son utilisation et reproductible quasi-gratuitement en source ouverte.

La question centrale se rattache à un renversement de paradigme qui troue les apparences. Le coût n’est pas le maître des décisions. C’est une construction sociale qui se rattache directement à la domination des rapports marchands dans la jungle de la concurrence. Cela ne signifie pas l’éradication du calcul économique, à condition que les échanges marchands deviennent subordonnés à des échanges fondés sur la prépondérance de critères sociaux et écologiques. L’autonomie marchande des divers types d’entités productives serait alors associée à une nouvelle batterie de régulations par les prix, les subventions ou les taxes, en fonction de critères définis en plein exercice d’une démocratie véritable. L'informatisation des données de gestion non biaisées par la captation de rentes ouvre la voie à un nouveau type de planification collective pour la transition écologique. Une planification, non pas bureaucratique, mais adaptée finement à la diversité des situations micro-économiques. Une domestication des catégories marchandes, c’est cela en quelque sorte qui est en jeu.

 

Nous terminerons ce développement par une parabole ubuesque. L’homme regarde la terre. Il voit qu’elle souffre. Il sait qu’il dispose de tous les moyens pour la soulager et pour s’immiscer en symbiose avec toutes les formes du vivant. Mais soudain, il hoche la tête : «on pourrait sauver la terre mais cela coûterait trop cher !!». L’homme, séculairement loup pour lui-même, est devenu, sous la forme moderne, un coût pour lui-même. Il s’est abstrait, perdu dans l’accumulation des zéros d’un compte fictif dont il est devenu l’esclave.

 

Nous restons ainsi prisonniers d’une mystification sur la nature de l’ «Économique», qui apparaît comme une sphère autonome soumise à des lois quasi-transcendantes dominant la marche du monde. Cet « Économique » apparaît comme entre un rapport entre les choses ramenées à de pures abstractions (la marchandise, l’argent) et le pouvoir compulsif des plus forts dans la loi de la jungle. Il ne se consacre donc qu’à travers la dépendance exclusive à la forme monétaire qui domine les conditions et les finalités des activités humaines réelles. Le salut semblant se cantonner à la mise à disposition et à une plus juste redistribution de l’argent.

 

Une telle mystification alimente de nombreuses illusions qui sont autant d’obstacles pour penser autrement : la croissance serait le seul vecteur d’un bien-être social fondé sur l’obligation à créer des « emplois » ; la compétition, sous forme de concurrence sauvage, serait le stimulant naturel et incontournable au développement des « progrès »…Toutes ces illusions sont aujourd’hui recouvertes par une chape de plomb, celle de la « Mondialisation » capitaliste financiarisée comme seul cadre prétendument possible du développement de la richesse.

 

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