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bertrand chedotal

post-capitalisme - idées et propositions

les quatre subterfuges de la notion de dette publique

Toutes les politiques publiques sont menées sous le joug de la "dette" publique (état et administrations), ne cessant de générer chez les gouvernants et l'opinion publique des effets mortifères de paralysie, de peurs, voire de psychose collective. A la racine de ce phénomène, se trouve le dogme dit monétariste dont l'inanité est aujourd'hui démontrée. Ce dogme étant imposé par l'application du traité de Maastricht. Je me contenterai ici d'exposer brièvement ce par quoi ce "fétichisme" de la dette publique repose sur une série de subterfuges.

 

 1 - Le subterfuge fondamental se rapporte aux décisions politiques de mise en œuvre du néo-libéralisme européiste. La souveraineté monétaire et financière des États-nations a été rompue par la création de l’Euro, comme monnaie unique. Pour les banques centrales, il en a résulté l'abandon de leur pouvoir de création monétaire et d'intervention directe pour garantir les besoins de refinancement de l'état. Les banques centrales sont devenues de simples exécutants de la BCE. Les besoins de financement des états n'ont désormais été assurés que par le recours exclusif aux marchés financiers globalisés à l'échelle européenne et mondiale. Chaque jour l'équipe renforcée des traders du trésor public se livre au jeu court-termiste et spéculatif de l'échange et du placement des titres émis par l'état. Les dettes publiques ont été privatisées. Les dettes internes sont devenues externes par un tour de passe passe. Ainsi la notion de dette souveraine a-t-elle été éradiquée. La dette souveraine, dette à l'égard de soi-même, constituant d'ailleurs une antinomie !

 

 

2 – Second subterfuge. La dette de l’état et des administrations publiques est assimilée à celle de la Nation. Elle est donc présentée comme totalement isolée de la situation financière des autres secteurs économiques (dits institutionnels) constituant la collectivité nationale : Les ménages, les entreprises et les institutions financières. Cet isolement comptable est d’autant plus ubuesque que la fonction des administrations publiques est précisément de fournir des services, du financement redistributif et des infrastructures à l'ensemble de la collectivité. C’est donc bien au niveau de la totalité des secteurs économiques qu’il convient d’appréhender la situation d’un pays, sous l'approche de ses données monétaro-financières. D’un côté, les ménages et les institutions financières dégagent structurellement une capacité de financement (épargne) ; de l’autre, les entreprises et surtout les administrations ont des besoins de financement permanents (générant un stock de dettes).

 

L'INSEE publie chaque année, la mise à jour d'un tableau intitulé "Patrimoine national par secteur institutionnel et grand type d'actif". Ce document (dernière mise à jour à fin 2022) est accessible directement par internet. Je vous invite à y jeter un œil. Dans une analyse schématique mais bien enracinée, j'isolerais deux chiffres. Le premier est celui qui est agité chaque jour pour faire peur. C'est le montant brut de la dette de l'état et des administrations publiques : un peu plus de 3000 milliards d'euros. Le second est beaucoup moins connu, c'est celui des actifs financiers bruts des ménages : Plus de 6000 milliards d'euros, soit le double de la dette publique. Si l'on ne prends en considération que le montant des assurances-vie et des fonds commun de placement (donc hors avoirs en compte courant et en livrets), cela représente la coquette somme de 3800 milliards d'euros.

Dans tous les cas, le gage de la souveraineté financière à travers la couverture dette publique/épargne interne est donc bien assurée. Elles n'est cependant que très partiellement réalisée. Les titres de l'état français à hauteur de 50% sont détenues par des résidents étrangers. C'est ici le corollaire de la dérivation de l'épargne des ménages français vers les placements financiers internationaux. C'est l'effet casino de la globalisation financière associée à une gestion gouvernée par l'optimisation bancaire spéculative. Au final, le fait de considérer la France endettée sur elle-même relève bien d'un subterfuge ahurissant.

 

3 - Le troisième subterfuge consister à assimiler la contrainte de la dette publique à celle de la dette domestique d'un ménage. Autant cette dernière est bien assortie juridiquement d' une obligation stricte de remboursement. Autant la dette publique au plan macro-économique dispose d'importantes marges de manœuvre pour dépasser cette obligation stricte de remboursement. Sous condition de souveraineté monétaire, cela recouvre différents pouvoirs exclusifs : L'annulation des titres (au fur et à mesure de leur échéance) par création monétaire directe ; le roulage de la dette par renouvellement à perpétuité (contrepartie des besoins de placement de l'épargne interne) ; les mesures enjoignant les banques de détenir une part définie de titres publics (réserves obligatoires).

Au niveau de l'économie réelle, un État est soumis à trois contraintes essentielles : Tenir compte des capacités de production pour absorber la réalisation de projets soumis aux fonds publics ; Maitriser l'inflation (la dernière vague étant totalement étrangère à un dérapage monétaire) ; Le contrôle des éventuels déséquilibres de la balance commerciale (et des paiements) avec l'extérieur.

Ainsi agiter quotidiennement le spectre d'une obligation de remboursement de la dette de l'état comme étant de même nature que celle d'un ménage relève d'une duperie et d'un subterfuge visant à évacuer le problème de l'abandon de la souveraineté monétaire.

 

4 – Le quatrième subterfuge, c'est de considérer qu'en s'endettant l’État s’appauvrit. C'est ignorer stupidement qu'un emprunt est par nature, financièrement et comptablement, une ressource permettant de financer des projets de fonctionnement ou d'investissement. Pas d'actif sans passif ! A l'échelle macro-économique, le financement-dette induit un effet démultiplicateur. On retrouve ici le phénomène auquel l'économiste Keynes a accroché son nom. Toute injection de fonds publics supplémentaires permet de soutenir les besoins sociaux et l'activité économique en fonction d' objectifs politiques.

Les dépenses budgétaires supplémentaires circulent et se régénèrent à travers l'économie nationale. Le processus est simple : Toute dépense par l’État génère des revenus chez d'autres acteurs, lesquels se transforment en de nouvelles possibilités de dépenses aboutissant à créer ainsi d'autres revenus, et ainsi de suite. C'est bien ce qu'on appelle le multiplicateur keynésien dont l'impact théorique est enseigné aux étudiants de "sciences économiques". Mathématiquement, pour un taux d'épargne de 20%, le coefficient multiplicateur est de 5.

Cette approche "mathématique" apparait magique. Elle ne fait pourtant qu'illustrer l'effet d'entrainement lié à la circulation du cycle dépenses/revenus, les deux faces d'une même pièce. La réalité de cette magie est cependant bien difficile à isoler et à mesurer quantitativement a posteriori. Elle n'en est pas moins réelle. Elle est plus facile à cerner à l'envers. Si l’État coupe tout ou partie des dépenses financées sur déficit, on peut en imaginer facilement l'impact cumulatif négatif en termes d'interruption de services publics, d'arrêts d'investissements collectifs, de coût du chômage des fonctionnaires et des effets collatéraux.

 

Les quatre subterfuges que je viens de mettre en évidence sont cachés par le pilonnage des dogmes néo-libéraux relayés par l'idéologie européiste. Ils sont fondés sur l'aberration de l'abandon de la souveraineté monétaire par la création de la monnaie unique gérée par une banque prétendument indépendante. Le dogme monétariste bats pourtant de l'aile. L'écho émancipateur de ce dogme arrive aujourd'hui d'outre atlantique. Il se présente comme "la théorie moderne de la monnaie". Son initiatrice la plus connue s'appelle Stephanie Kelton, professeure et conseillère auprès du parti démocrate. Je conseille la lecture de son livre grand public, "Le mythe du déficit".

 

 

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