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bertrand chedotal

post-capitalisme - idées et propositions

les changements de paradigmes...

Les changements de paradigmes surgissent de sauts à caractère socio-techniques associés à la troisième révolution industrielle.

1) La déconnexion entre le temps de travail et les quantités de richesses produites

L’automatisation de la production des biens met au premier plan la prépondérance du facteur immatériel dans la sphère productive. Le stade de la duplication matérielle consomme une part de plus en plus réduite du travail industriel. L’un des phénomènes majeurs est le découplage entre le temps de travail et les quantités produites. Notamment, la part du travail couplé à la fabrication matérielle s’est effondrée par rapport au travail engagé en amont (conception, préparation) et en aval (commercialisation, service après-vente).

 

La production automatisée d’unités supplémentaires d’un produit ne consomme plus qu’une quantité de plus en plus réduite (voire infime) de travail direct. Nous entrons là dans une dimension d’abondance où les contraintes ne se situent plus au plan des capacités de production, mais au niveau de l’existence de débouchés utiles et solvables. La notion problématique de croissance est découplée de celles de travail et d’emploi.

La théorie économique de la valeur (notamment marxiste), fondée sur le temps de travail nécessaire est largement remise en question. Daniel Ben Saïd souligne que « mesurer toute richesse matérielle, sociale, culturelle, au seul étalon du temps socialement nécessaire à sa production, devient de plus en plus problématique du fait d’une socialisation accrue du travail et d’une incorporation massive de travail intellectuel à ce travail socialisé ». Au sens économique, la valeur est représentée par la recherche d’une référence commune servant de base aux échanges marchands. Celle-ci se détache de plus en plus de la quantité de travail incorporé. Certes, le travail humain reste à la base de la production de richesse. Mais, une autre forme de travail s’est développée, appliquée à la production des logiciels. Le travail incorporé dans un logiciel devient du travail stocké ayant la propriété d’être reproductible à l’infini.

 

Dans l’économie traditionnelle, la recherche d’accroissement de la productivité est liée à un calcul d’optimisation pour l’introduction de machines à la place des hommes. Ce calcul devient obsolète. Le développement de l’automatisation amène des économies simultanément sur le capital technique et le travail incorporé dans les produits.

La fabrication des robots devient elle-même automatisée, consommant de moins en moins de travail et devenant accessible à des prix ne cessant de diminuer. La contrainte classique du coût et de la rentabilité du capital technique s’efface derrière celle de la saturation des débouchés commerciaux solvables, compte tenu des surcapacités liées à la concurrence mondialisée. Ainsi la suraccumulation du capital conduit à des surproductions dans nombre de secteurs industriels.

 

L’investissement majeur n’est plus matériel mais immatériel : la capacité d’innovation, la recherche-développement, l’efficacité de la formation, les progrès dans la fluidité de l’organisation. Les ressources associées à ces facteurs immatériels sont de plus en plus difficilement quantifiables et dépassent très largement celles provenant d’investissements physiques, lesquels se concentrent maintenant sur l’acquisition de terminaux et de robots.

 

Ainsi, à un premier niveau, la prépondérance du facteur immatériel dans la sphère productive renverse des paradigmes économiques majeurs : Le couplage quantitatif travail/production, la loi de la valeur-travail, la productivité par substitution capital/travail…

Aucune contrainte spécifiquement économique n’empêche le développement des processus automatisés et ses conséquences directes, en termes de réduction du temps de travail « contraint » et de possibilités d’abondance des capacités de production de biens et services.

 

2) La reproductibilité quasi-gratuite de l’information

Avec la généralisation des technologies informationnelles, les règles de l’échange se transforment. Selon l’image décrite par Jacques Robin : « Si deux hommes se partagent une nourriture ou un objet, ils vont disposer chacun d’une partie du bien ainsi partagé ; par contre, s’ils échangent des informations, ils repartent chacun avec son information et celle de l’autre en supplément ». La caractéristique de l’information est bien de ne pas se consommer en circulant, mais plutôt de se régénérer, de s’adapter, de s’enrichir par l’échange.

 

L’information, en tant que savoir et connaissance, est un produit culturel résultant de l’interaction et de l’accumulation des facultés humaines générales. Elle est donc inappropriable par essence. Cette force productive sort de la contrainte capitaliste classique où le cadre de la production de biens reposait principalement sur l’appropriation privée de moyens matériels (capital technique).

 

Revenons à Gorz : « La connaissance, séparée de tout produit dans lequel elle a été, est ou sera incorporée, peut exercer en et par elle-même une action productive sous la forme de logiciels. Elle peut organiser et gérer les interactions complexes entre un grand nombre d’acteurs et de variables ; concevoir et conduire des machines, des installations et des systèmes de production flexibles, bref de jouer le rôle d’un capital fixe en substituant du travail stocké à du travail vivant matériel ou immatériel ». Ainsi, une part croissante du capital fixe, investi et consommé dans l’entreprise, échappe-t-elle aux contraintes de la dépréciation par simple usage ou par libre diffusion. C’est toujours le produit d’un travail initial de production de logiciels ou progiciels, mais un travail stocké reproductible à l’infini. Échappant par nature aux contraintes marchandes appropriées privativement.

 

Les bases de l’appropriation privée deviennent minées par les caractéristiques mêmes de la principale force productive : La connaissance est par nature un bien commun de l’humanité ; un bien qui est transmissible et reproductible à l’infini des possibilités de coopération.

Les codes de protection informatique, les péages de droit d’accès, les rentes de monopole juridique, la course au brevetage, la rétention par la propriété intellectuelle n’apparaissent que comme des parades de plus en plus fragilisées pour la sauvegarde de la domination des firmes de la mondialisation capitaliste. Les renversements fondamentaux de l’ère informationnelle sont bien là définitivement. Le règne de l’ « open source » est arrivé et ne peut s’arrêter.

 

3) La remise en cause de la hiérarchisation pyramidale des pouvoirs

Le développement des technologies informationnelles remet en cause les bases de la division du travail manuel/intellectuel et de la parcellisation des tâches. Il est porteur de possibilités inédites pour l’appropriation sociale des moyens de production.

 

Le schéma taylorien, assujettissant la performance de l’entreprise à la somme des rendements individuels, est dépassé. Ainsi que l’écrit Pierre Veltz, « ce n’est pas la somme du travail des individus qui compte, mais la qualité et la pertinence des communications nouées autour du système productif. » La productivité globale de l’entreprise se découple des facteurs quantitatifs de temps passés à l’exécution de tâches. Elle s’exprime aujourd’hui en termes qualitatifs : Capacité d’innovation, fluidité d’organisation, capacité à rendre les meilleurs services en délai et qualité. Cela suppose que les ressources humaines et les activités s’harmonisent au sein d’une organisation en auto-apprentissage permanent. La communication et la coopération deviennent des éléments clés du travail lui-même.

 

La prépondérance du travail immatériel nécessite l’intégration par chacun des connaissances induites par l’évolution des techniques. Une telle intégration se réalise à travers la mise en œuvre de savoirs effectifs dont à la construction est à la fois collective et individuelle. Collectivement, la construction des savoirs suppose des possibilités d’expression coopérative nourries par le partage d’une identité non factice, d’un sens donné à l’activité générale de l’entreprise.

Individuellement, cette construction renvoie à ce qu’André Gorz appelle « la production de soi » : « Les travailleurs post-fordistes doivent entrer dans le procès de production avec tout le bagage culturel qu’ils ont acquis…C’est dans les activités hors travail que se sont développées leur vivacité, leur capacité d’improvisation, de coopération. »

 

De nombreux facteurs concourent à abolir la distance qui séparait traditionnellement l’ouvrier de l’ingénieur, au delà la division séculaire du travail manuel et intellectuel : le spectaculaire développement de la formation générale initiale ; l’accès illimité de chacun à la bibliothèque d’internet ; la généralisation de l’arrivée des terminaux dans les ateliers ; le couplage au réseau interne à l’entreprise…

L’ordinateur devient ainsi l’outil commun, directement accessible à la plupart des opérateurs. Les bases de données ont été regroupées et articulées en réseau, constituant un intranet. Les voies de la circulation des informations générales et spécialisées se sont ainsi ouvertes à la communication interactive.

Les possibilités d’échanges transversaux commencent débordant les hiérarchies et la structure pyramidale, libérant ainsi les possibilités de contrôle collectif et d’appropriation coopérative.

 

La révolution informationnelle débouche sur une autre révolution qui s’apparente à un saut anthropologique. Depuis le néolithique, les sociétés humaines ont évolué sur la base de constitution d’entités toujours plus vastes et hiérarchisées. Des entités qui n’ont pu se reproduire que par la soumission à des ordres théologiques aliénés sur l’autel de la domination esclavagiste, féodale et capitaliste. De l’ordre de fictions toujours plus élargies. La révolution en cours shunte le principe même de l’organisation pyramidale bureaucratisée. Elle amène la possibilité d’une régulation par la dynamique de nouveaux communs fondées sur les relations « pair à pair ». Une organisation beaucoup plus performante de divers points de vue.

Nous rejoignons ici l'apport de Michel Bauwens pour la promotion d'une économie collaborative fondée sur le « peer to peer ».

 

4) Le dépassement de la médiation aveugle du marché

De nouvelles formes de coopération entre utilisateurs et producteurs sont rendues possibles, notamment par la précision et l’instantanéité des informations transmises.

Le client et le producteur peuvent se relier directement sur internet, sans intermédiaire. Des plans d’objets en 3D peuvent se construire, s’adapter, s’échanger sur une plate-forme Web, de manière interactive. Des parasitages liés au passage par les voies traditionnelles du marché sont susceptibles d’être court-circuités, au profit de partenariats directs et coopératifs. Les réseaux d’entreprises sont facilités, reliant les concepteurs, les donneurs d’ordre, les prestataires, les demandeurs de services.

 

Dès la fin des années 1980, P. Zarifian et C. Palloix soulignent : « Il devient techniquement possible de coordonner, d’une manière quasi-instantanée, les systèmes de pilotage de procès de travail éloignés sur le plan spatial. Le fait que des travaux soient séparés matériellement, et contraints, de ce point de vue, de s’exécuter indépendamment les uns des autres, est en train de pouvoir être dépassé. Cette révolution matérielle enlève un argument de poids à la nécessité de passer par des médiations opérées par le marché. Les informations que le marché est censé fournir peuvent être directement transmises entre producteurs séparés spatialement et sous une forme non déformée par les imperfections des systèmes de prix pratiqués sur les marchés. »

 

Des passages s’ouvrent, permettant aux acteurs de se dégager des pesanteurs et des masques de la conception classique du marché : la captation de rentes ou de surprofits, la domination technique et commerciale par des intermédiations parasitaires…Une transmutation des espaces d’échanges décentralisées peut s’opérer vers des voies de coopération interactive en pair à pair.

Et maintenant, nous nous ouvrons à la richesse des possibles des réseaux « pair à pair », où l’information circule, libérée de la contrainte de la domination des rapports marchands fondés sur la captation de rentes privatives.

 

5) L’émergence d’un nouveau modèle industriel

Il est en train d’émerger un nouveau modèle d’organisation industrielle, particulièrement avec le développement des Fab-Lab (atelier-laboratoire coopératif de fabrication). Dans des ateliers locaux sont regroupés des plate-formes de conception assistée par ordinateur et des outils de production automatisés dont l’emblème est l’imprimante 3D. Cette imprimante permet, à partir d’un modèle numérique, de réaliser un objet en 3 dimensions, par dépôts successifs de fines couches de matières (résine, métal, céramique, et même plâtre ou ciment..).

 

La démarche originale est celle de productions personnalisées, à partir de l’idée proposée par l’utilisateur lui-même. L’atelier Fab-Lab réunit, en une seule ou plusieurs personne(s), le déclencheur-utilisateur, le concepteur et le fabricant.

Avec l’imprimante 3D, de nombreux types d’objets personnalisés ont déjà été fabriqués (chaise, vélo, jouet…) ainsi que des pièces de remplacement. La liste des fabrications peut s’étendre vers la voiture et même la maison. L’équipement est utilisé par des industriels et de architectes désireux de produire rapidement des maquettes et prototypes, ainsi que par certains professionnels comme les prothésistes dentaires ou auditifs. Divers types d’imprimantes 3D sont actuellement sur le marché, depuis des versions pour des particuliers, jusqu’à des modèles plus importants à usage collectif.

 

Des ateliers, le plus souvent connectés en réseau, se sont créés notamment dans nombre de villes, où des logiciels de conception et des imprimantes 3D sont mises à disposition du public. La conception-duplication d’objets à l’unité ou en petites séries devient une réalité qui questionne le modèle classique de production massive de produits standardisés. La relocalisation de productions intéresse déjà des industriels soucieux de développer rapidement et à moindre coût de nouveaux produits innovants en séries limitées.

Le développement d’ateliers ouverts à des particuliers ouvre le champ d’une économie pour un produire et réparer local. Un nouveau secteur est en train de se constituer sur des principes de coopération, de démarchandisation, d’alternative au prêt-à-porter du jetable consumériste.

 

6) Synthèse

 

 

 

  • L’automatisation de systèmes productifs est un facteur puissant de réduction et de libération du travail contraint par le labeur physique et pénible. Il met en cause les bases de la division du travail manuel/intellectuel. Il déconnecte le temps de travail des quantités produites et nous fait entrer dans une ère d’abondance des capacités productives.

     

  • La reproductibilité quasi-gratuite de l’information ouvre le champ d’une transformation des règles de l’échange. La levée des droits d’accès privatifs (lesquels organisent la rareté pour la rente) libérerait une dynamique de coopération dans un cercle vertueux à grande échelle. Le travail stocké sous forme de logiciels permet l’essaimage de systèmes de production locale adaptés à la diversité des besoins. Les bases de l’appropriation privée deviennent minées à la base par la dimension universelle de la principale force productive et par son caractère d’abondance.

     

  • Le développement des technologies informationnelles est porteur de possibilités inédites pour l’appropriation coopératives des moyens de production et des politiques d’entreprise. Il déborde le carcan des soumissions aux hiérarchies et à la structure pyramidale, par le développement des relations transversales au sein de l’entreprise réseau.

     

     Par la précision et l’instantanéité dans le partage des informations, de nouvelles formes de coopération entre usagers, producteurs et prestataires sont rendues possibles. Les possibilités de partenariats directs et coopératifs débordent les conceptions traditionnelles du marché.

     

  • Avec le développement des ateliers équipés d’outils de conception et de fabrication automatisés (de type imprimante 3D), un nouveau modèle industriel peut émerger, substituant des centres coopératifs locaux aux usines de production massive de produits standardisés.

 

Bien sûr, aucune automaticité ne peut faire découler mécaniquement la transformation post-capitaliste de ces potentialités associées aux techniques informationnelles. Nous pouvons simplement percevoir qu’un champ inédit de possibles arrive, pour la première fois, à notre disposition, pour envisager une véritable appropriation coopérative des activités productives et sociales. Il nous reste à en explorer les contours, afin de faire émerger l’architecture d’un post-capitalisme.

 

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